Esther 5, 1-14 + 7, 1-10

Voilà comment le Roi veut honorer cet homme

Paul Claudel

Le poète et la Bible, tome 1, Le livre d’Esther, p. 463s

          Que faut-il faire à cet homme que le roi désire combler d’honneurs, demande Aman à Assuérus, pensant bien qu’il s’agir de lui. Or cet homme, c’est Mardochée.

Mardochée, c’est lui le Pauvre par excellence, le Serviteur dont parle Isaïe, dépouillé de beauté et d’apparence, l’homme de rien, l’homme-ver, le Lazare à notre porte, rebuté, dont les chiens lèchent les pieds et qui ne se nourrit que des miettes de notre festin, de ces sous troués qui échappent à l’œil aigu de notre avarice.

C’est cet homme qu’Aman doit revêtir des vêtements royaux, sans rien en omettre. Ces vêtements royaux dont est revêtu Mardochée, ce sont ceux dont parle le prophète Zacharie. C’est l’éphod, c’est l’aube qui va jusqu’aux pieds et dont le livre de la Sagesse nous dit que, dans la robe d’Aaron, dont, des pieds jusqu’à la tête, il était enveloppé, était tout le globe des terres. C’est l’éclat du lys immaculé qui dépasse celui de Salomon dans sa gloire. C’est le vêtement arrosé de sang rappelant la tunique de Joseph dont, après Isaïe, nous parle l’Apocalypse, et à quoi s’attache le nom Verbe de Dieu. C’est cet habit de l’adoption filiale, non pas fait de lin, mais de lumière, dont tout chrétien, à la suite de Paul, désire être revêtu par-dessus. C’est ce trousseau reconstitué du Fils de l’homme que les bourreaux ont tiré au sort sous la croix et qu’ils ont dispersé aux quatre coins du monde.

Le vêtement ne suffit pas, il y a la couronne, celle que l’Epoux promet à l’Epouse, dans le Cantique, de partager, celle qui ombrage le front du Grand-Prêtre et qui se compose d’une lame d’or pur sur laquelle sont gravés ineffaçablement les deux mots : Saint à Dieu. Ainsi donc tu es Roi ? dit Pilate à Jésus. Et le garrotté auguste répond : Je le suis.

          Revêtu de ce costume, l’homme que le Roi veut honorer sera conduit à cheval sur la grand’place en criant : Voyez comment l’on traite l’homme que le Roi veut honorer. Le cheval, ce quadrupède qui joue un si grand rôle dans l’Apocalypse, c’est le trône ambulant qui porte le Verbe aux quatre coins du monde et qui a un évangéliste à chaque bout.