Matthieu 5, 38-48

Quelqu’un doit faire le premier pas

Cardinal Christoph Schönborn

Pensées sur l’évangile de Matthieu, p. 49s

        Dans le sermon sur la montagne, Jésus montre le chemin d’un agir juste, droit et bon, qui ne respecte pas seulement des règles extérieures, mais naît d’un cœur bon et prend sa source dans une intention droite.

        Que se passera-t-il si j’adopte cette attitude, mais que les autres n’en fassent pas autant ? C’est précisément cette crainte qui nous occupe en entendant le sermon sur la montagne : tout cela est bien beau, en théorie, mais dans la pratique, c’est bien différent ! Qui est capable de ne jamais se fâcher, ni être méchant et de maîtriser ses yeux de façon à ce que son regard ne soit jamais concupiscent ?

        L’évangile de ce dimanche semble encore renforcer cette crainte. Jésus ne demande-t-il pas, purement et simplement, ce qui est impossible à l’homme : tendre l’autre joue quand on reçoit un soufflet ? N’est-ce pas trop demander ? Et puis, Jésus a-t-il fait lui-même ce qu’il nous demande ? Lorsque le garde lui a frappé le visage, Jésus ne lui a pas présenté l’autre joue, mais lui a rétorqué : Si j’ai mal parlé, témoigne de ce qui est mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Jésus a-t-il donc résisté à celui qui lui faisait du mal, contrairement à ses propres exigences pour nous ?

        J’ai certes le droit de me défendre par des moyens légitimes contre un tort qui m’est fait. Mais la question de Jésus vise notre cœur : réclames-tu ton droit avec des sentiments de vengeance, à cause de ton amour propre blessé, à cause de ton désir de vouloir toujours avoir raison à tout prix ?

        L’apôtre Paul nous dit de quoi il est question : Veillez à ce que personne ne rende le mal pour le mal, mais poursuivez toujours le bien, soit entre vous, soit envers tous. De même il en est question dans le plus difficile de tous les commandements de Jésus : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs. Jésus ne nous demande pas d’avoir des sentiments d’affection ou de sympathie pour nos ennemis, ce serait à l’encontre de la nature humaine. Ce que Jésus attend, c’est que nous ne souhaitions pas à l’ennemi le mal qu’il nous a fait. Nous devons arrêter l’engrenage du mal, rompre la spirale de la violence : Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien, nous dit saint Paul.

        Aimer là où nous rencontrons l’amour, cela n’a rien d’extraordinaire. Cela nous est facile. Mais conserver la bienveillance envers celui qui nous veut du mal, cela nous rend semblables à Dieu qui est bon envers tous, qu’on lui en soit reconnaissant ou non. L’histoire et l’expérience personnelle le montrent bien : la vengeance n’a jamais engendré la paix. Quelqu’un doit oser faire le premier pas vers l’autre. Et Jésus veut que ce quelqu’un ce soit moi.