1 Corinthiens 6, 1-11

Des procès entre frères

Saint Augustin

Sur la doctrine chrétienne, OC 6, Livre IV, 36, p. 570s

       L’apôtre Paul, parlant des œuvres profanes, et de quoi y est-il question sinon d’argent, s’exprime ainsi : Lorsque vous avez un différent entre vous, comment osez-vous le faire juger par les païens, et non par les saints ?

       Que s’est-il passé pour que l’apôtre s’indigne à tel point, corrige, blâme, accuse et menace ? Pourquoi cette indignation, pourquoi ces avertissements, ces reproches, ces réprimandes, ces menaces ? Que s’est-il passé pour que, sous l‘émotion de son âme, le ton de sa parole change, et devienne si sec, si âpre ? Pourquoi des choses si minimes provoquent-elles si haut discours ? Mais s’il agit de la sorte, c’est qu’il y va de la justice, de la charité, de la piété qui, nul esprit mesuré n’en doute, sont d’intérêt majeur, même pour peu de choses.

       Si nous apprenions aux hommes la manière de défendre leurs intérêts temporels ou ceux de leurs proches devant les juges ecclésiastiques, nous leur dirions sans détour de les traiter avec simplicité, comme des choses de peu de valeur : mais comme nous parlons ici du langage d’un homme que nous voulons être capable d’enseigner les vérités qui nous préservent des maux éternels et nous conduisent à l’éternel bonheur, que l’on parle, dirons-nous, soit en public, soit en particulier, à un seul ou à plusieurs, à des amis ou à des ennemis, dans un discours suivi ou dans une conférence, dans des traités, dans des livres, ces vérités sont toujours grandes. Parce qu’un verre d’eau froide est chose fort simple et de peu de valeur, faut-il regarder comme minime et de nulle importance la promesse du Seigneur qui nous affirme que celui qui donne ce verre d’eau à l’un de ses disciples, ne perdra pas sa récompense ? Ou bien, quand l’orateur chrétien parle de ce sujet dans l’assemblée des fidèles, doit-il croire qu’il ne traite rien de plus grand et qu’ainsi il doit laisser de côté le style tempéré et sublime pour se borner au style simple ? Quand nous avons parlé au peuple sur cette matière et que la grâce de Dieu a heureusement inspiré notre langue, n’est-il pas arrivé parfois que, de cette eau froide, ait jailli une flamme surnaturelle, qui allait embraser les cœurs glacés des auditeurs et les porter aux œuvres de miséricorde, dans l’espoir de la céleste récompense ?