Job 3, 1-26

La malédiction de Job

Père Jean Steinmann

Le livre de Job, p. 97

       Après les sept jours et les sept nuits de silence des amis de Job, éclate une sorte d’infernal rugissement de bête blessée. Au lieu de crier sa souffrance ou de faire monter des accents de révolte, Job trouve dans le répertoire littéraire sémitique le genre poétique le plus âpre et presque le plus barbare, tout encore empreint de l’antique magie : la malédiction qui ressuscite les pratiques des vieux sorciers aux muffles grimaçants. Infernale, la malédiction l’est en tant qu’appel au Shéol souterrain, à ce que les vieux hébreux pouvaient évoquer de plus horrible. Certes Job ne maudit pas Dieu, en quoi il trompe l’attente de Satan, mais il maudit l’œuvre de Dieu, la vie, sa vie.

       Il s’en prend d’abord à son anniversaire, plutôt qu’au vrai jour de sa naissance. On sait le rôle que joue l’anniversaire dans l’astrologie. Par suite du parallélisme de la poésie sémitique, la nuit où fût conçu Job rime avec le jour de sa naissance. Et le premier vers, avec son opposition entre le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres, domine toute la première strophe de la malédiction. Pour effacer ce jour, il faudrait le transformer en une nuit à l’opacité impénétrable.

       L’étrange puissance du poème vient de la personnification du Jour et de la Nuit. Lorsque Michel-Ange, dans la chapelle Médicis, sculpta le Jour et la Nuit, il se rattachait, comme l’auteur de Job, de très loin, c’est évident, à une ancienne déification des météores. Dans la mythologie phénicienne d’Ugarit, ce sont les crépuscules et l’aurore qui naissent du dieu El et ses femmes, et le poème de « la naissance des dieux gracieux et beaux » fait d’insistantes allusions à leur conception. Chez les latins, Dies et Nox étaient divinisés. D’après la malédiction de Job, la Nuit sait ce qui se passe dans le sein des femmes : « un mâle a été conçu ». Le Jour peut être « terrifié », il « attend la Lumière », il aurait pu « fermer » les portes du ventre de la mère de Job.