Nombres 12, 1-15

Une querelle de famille

Père Pierre Buis

Le livre des Nombres, CE 78, p. 36-37

 

            Dans le texte que nous venons de lire, on voit une nouvelle occasion de valoriser Moïse en face de sa sœur Myriam et de son frère Aaron. Myriam et Aaron critiquent Moïse au sujet de la femme koushite qu’il a épousée. Comme dans d’autres conflits, le Seigneur tranche le litige en punissant immédiatement celle dont la plainte est rejetée : La nuée se retira de la tente et Myriam se retrouva lépreuse. A cette vue, Aaron prend peur : Il dit à Moïse, je t’en prie, ne fais pas retomber sur nous le péché que nous avons eu l’imprudence de commettre. Comme il le fait souvent pour le peuple, Moïse intercède : O Dieu, daigne la guérir ; mais cette fois le Seigneur n’accepte pas la demande de Moïse. Si la punition n’est pas levée à la demande de Moïse, c’est qu’elle a valeur d’exemple.

            La difficulté de ce texte réside dans son point de départ. Qu’est-ce que Myriam et Aaron reprochent à leur frère ? Quelle est cette koushite qu’il a épousée ? Myriam et Aaron reprochent-ils à leur frère de s’être séparé de Cippora, la madianite épousée depuis longtemps ? Si c’est le cas, la réaction de la famille se comprend facilement. Mais on ne voit pas alors pourquoi le Seigneur rejette les reproches de Myriam, et la punit.

            N’y a-t-il pas là derrière un problème de jalousie et d’autorité ? Dieu parle à Moïse, pas à son frère et à sa sœur, alors que cela s’est produit auparavant ; or a autorité en Israël celui à qui Dieu parle. Ce texte affirme clairement la position exceptionnelle de Moïse qui, dit le Seigneur, est l’homme de confiance dans ma maison, c’est-à-dire de mon peuple. Dieu parle donc à Moïse franchement, en clair ; les autres messagers de la parole, les prophètes ordinaires, ne reçoivent les communications divines que par des visions, ou des songes, deux formes de langage symbolique qu’il faut ensuite déchiffrer. Moïse, lui, parle avec Dieu, communique avec Lui, mais il ne voit toujours pas son visage qu’on ne pourrait voir sans mourir. Les mots manquent pour décrire les expériences mystiques telles que celle qu’on attribue à Moïse et où il reçoit les paroles qu’il aura à transmettre.

       Dans ces incidents, Moïse apparaît bien comme l’un de ces humbles, de ces petits, qui n’ont pas les moyens de se défendre et qui confient au Seigneur leur défense. Ici, Moïse ne répond rien aux attaques, ne demande rien au Seigneur, sinon la guérison de celle qui le critique ; dans d’autres récits, Moïse sera moins patient, même parfois vindicatif.