Néhémie 7,72b – 8,18

Prophète ou prêtre ?

Père Théophane Chary

Les prophètes et le culte à partir de l’exil, p. 69s

          Les positions cultuelles du prophète Ezéchiel seront durcies après lui. Dans la cité théocratique prévue par lui, il reste un souffle prophétique animant jusqu’aux mesures les plus précises. La personnalité d’Ezéchiel affleure toujours, et, jusqu’aux derniers chapitres de la Torah, le prophète repousse franchement le prêtre pour animer seul la vision des splendeurs futures. Ce prophète-là ne s’est jamais retrouvé dans les caravanes d’exilés revenant à Jérusalem. Ceux qui ont eu la redoutable mission de guider la restauration n’avaient plus le génie d’Ezéchiel. Les circonstances concrètes dans lesquelles ils durent exercer leur ministère, étaient pénibles : il fallait plier le rêve à la réalité. Celle-ci fut très modeste, et, dans le second Temple, le prophète céda la place au prêtre.

          Esdras, le prêtre, apportera de Babylone la Torah, et fondera sur elle la réforme, nous venons de l’entendre dans la lecture, il y a un instant. Le souci de la Loi qui s’étale ici est déjà bien visible dès le début chez le Chroniqueur : il a soin de renier les réformes ou les prescriptions à Moïse, l’homme de Dieu qui a reçu la Torah. Le prophète délivrait un message vivant, adapté sans cesse aux besoins du peuple ; la Torah délivre un message fixe et souvent impersonnel où l’élément juridique et rubriciste a la part si large. Faut-il s’étonner qu’elle ait eu moins de succès que le prophète ? De nombreux relâchements faillirent plusieurs fois compromettre l’œuvre de restauration, et cela par la faute du clergé. La Torah n’a pas réussi à garder ses propres gardiens. C’est avec un zèle redoublé que les meilleurs des prêtres se consacrent à l’étude et à l’explication de la Torah. Leur vigilance assurera la permanence du dépôt sacré, mais sera cause, en même temps, du rétrécissement de la piété dont le monde pharisien présentera plus tard la résultante extrême.

          Le durcissement de la religion dont Esdras et Néhémie nous fournissent le spectacle est, à coup sûr, un héritage d’Ezéchiel. On peut le regretter, mais il ne faut pas oublier que, pendant plusieurs générations, il fallait reconstruire le Temple de Dieu. L’heure n’était pas au rêve d’expansion, mais à la concentration et à la stricte discipline ; cette attitude a sauvé et la vie cultuelle et la foi juive elle-même.