Nombres 24 1-19

Quelles sont belles tes tentes, Jacob !

Jacques Bénigne Bossuet

Discours prononcé lors de l’assemblée du clergé, le 9 novembre 1681

        C’est sans doute un grand spectacle de voir l’Eglise chrétienne figurée dans les anciens Israélites ; la voir, dis-je, sortir de l’Egypte et des ténèbres de l’idolâtrie, cherchant la Terre promise à travers un désert immense, où elle ne trouve que d’affreux rochers et des sables brûlants. Nulle terre, nulle culture, nul fruit, une sècheresse effroyable, nul pain qu’il ne lui faille envoyer du ciel, nul rafraîchissement  qu’il ne lui faille tirer par miracle du sein d’une roche ; toute la nature stérile pour elle et aucun bien que par grâce, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus surprenant. Dans l’horreur de cette vaste solitude, on la voit environnée d’ennemis, ne marchant jamais qu’en bataille, ne logeant que sous des tentes, toujours prête à déloger et à combattre, étrangère que rien n’attache, que rien ne contente, qui regarde tout en passant, sans vouloir jamais s’arrêter ; heureuse néanmoins en cet état, tant à cause des consolations qu’elle reçoit durant le voyage, qu’à cause du glorieux et immuable repos qui sera la fin de sa course. Voilà l’image de l’Eglise pendant qu’elle voyage sur la terre.

        Balaam la voit dans le désert : son ordre, sa discipline, ses douze tribus rangées sous leurs étendards. Quel spectacle ! Quelle assemblée ! Quelle beauté de l’Eglise ! Du haut d’une montagne, Balaam la voit tout entière, et au lieu de la maudire comme on l’y voulait contraindre, il la bénit. On le détourne, on espère lui en cacher la beauté en lui montrant ce grand corps par un coin d’où il ne puisse en découvrir qu’une partie, et il n’est pas moins transporté ; parce qu’il voit cette partie dans le tout, avec toute la convenance et toute la proportion qui les assortit l’un à l’autre. Ainsi, de quelque côté qu’il la considère, il est hors de lui, et ravi en admiration il s’écrie : Que vous êtes admirables sous vos tentes, enfants de Jacob ! Quel ordre dans votre camp ! Quelle merveilleuse beauté paraît dans ces pavillons si sagement arrangés ; et si vous causez tant d’admiration, sous vos tentes et dans votre marche, que sera-ce quand vous serez établis dans votre patrie !