Matthieu 26, 14-25

« Serait-ce moi, Seigneur ? »

Père Marie-Joseph Le Guillou

Le mystère du Père, p. 66s

        Que ceux qui ont été élus dès l’origine soient finalement sauvés ou perdus, c’est de toute façon à l’intérieur du dispositif sacrificiel mis en œuvre en Jésus-Christ par pure grâce qu’ils se sauvent ou se perdent. Leurs noms se trouvent ou ne se trouvent pas écrits dans le livre de Vie de l’Agneau égorgé depuis la fondation du monde, mais sans qu’ils aient été prédestinés à autre chose qu’au mystère de vie inclus dans l’Agneau discerné dès avant la fondation du monde. Si ce mystère devient le signe de contradiction pour la chute et le relèvement d’un grand nombre, la raison en est que certains s’excluent eux-mêmes du pardon qui leur est offert dans le sacrifice auquel ils se trouvent ainsi à jamais liés.

        Le mystère de Judas consiste en ceci, qu’étant situé au cœur du sacrifice de Jésus qui continue de l’envelopper de son amour, il s’en va pourtant vers son lieu en fils de perdition. Il utilise jusqu’au bout la liberté qui lui a été donnée avec la grâce d’adoption el l’opposant au dessein d’amour duquel il la tient. Il contribue, par là, à la consommation sacrificielle de l’amour sauveur, selon l’Ecriture. Si le Christ, dans son amour pour les siens, est allé jusqu’au bout, c’est en considération de celui dont il connaissait, à ce moment même, le dessein. Judas n’est pas un exclu, mais un élu, l’un des Douze qui avait reçu sa part du ministère apostolique, un ami. Ce confident qui mange le pain dans le même plat que Jésus, c’est lui qui le trahit. Au moment où Jésus donne la bouchée, et dans ce geste suprême lui offre son amour, le cœur de Judas se ferme au salut qui le sollicite et à l’accomplissement sacrificiel duquel il contribue par son refus même.

        Ainsi plus l’homme dresse sa liberté contre le dessein d’adoption auquel il la doit, plus ce dessein devient sacrificiel. Le jusqu’au bout pour les hommes que le Christ a voulu atteindre dans sa Pâque, c’est le point limite qui coïncide sans pouvoir l’annuler avec l’extrême refus de la liberté humaine. Annuler ce qui rend possible ce refus, ce serait annuler l’adoption filiale que le sacrifice du Christ se propose de sauver : l’image du Fils dans l’homme se réalise en une liberté d’aimer ou de ne pas aimer, ce que Dieu respecte parfaitement.