Jean 13, 21-33+36-38

Le cri du cœur de Pierre : « Seigneur, où vas-tu ? »

Dom Augustin Guillerand

Au seuil de l’abîme de Dieu, p. 411s

        Pourquoi ne puis-je aller avec Toi, dès maintenant ? Saint Pierre est encore faible, mais il aime vraiment son Maître. Il souffre à la pensée d’une séparation, il ne l’accepte pas. Jésus le lui fait dire. C’est une consolation très douce à son cœur, c’est la consolation qui console de tout. La faiblesse de l’apôtre ne compte pas à ses yeux ; ce n’est pas une disposition de la volonté, or l’amour est dans le vouloir. Maître du vouloir, il fortifie et prépare la transformation totale qui permettra le plein de soi.

        Saint Pierre lui donne à cette heure un être fragile, inachevé, en formation ; mais il lui donne tout ce qu’il a. Quand il aura plus, il donnera ce « plus ». Il donnera plus quand Dieu lui aura donné d’avoir plus.

        Il faut se donner longtemps dans la faiblesse pour accueillir peu à peu la force dans laquelle on se donnera davantage. Il y a une joie dans le don de soi, une joie qui peut être égoïste et périlleuse : on se donne en reconnaissant son néant et en accueillant l’Etre qui l’emplit ; il appartient à Celui qui est l’Etre de le donner. Il appartient à celui qui n’est pas de le recevoir de Lui à l’heure où il le donne. L’Esprit-Saint apprend cela parce qu’il est le don de soi.

        En Dieu seul, la lumière brille éternellement d’un éclat infini. En nous, les ténèbres la précèdent, et elle ne les dissipe que peu à peu. Le lever de lumière se fait généralement dans la lutte et par l’épreuve. Elle procède de la foi, et la foi est une nuit qui enveloppe en son ombre la clarté.

        Tout ce chapitre 13 de saint Jean est une révélation aiguë de cette faiblesse dont la connaissance est si nécessaire, et à laquelle s’oppose, en contraste, la toute-puissance de Celui qui la révèle. Les hommes y apparaissent avec Judas, avec Pierre et le groupe apostolique qu’anime la meilleure volonté, mais qui comprennent si peu et si mal. En face d’eux, Jésus se dresse immensément grand de la science qui pénètre tout le Dessein divin, de sa toute-puissance qui est la puissance sans limite de son amour qui s’abaisse à soulever la misère humaine, et qui accepte à la fois les résistances hostiles jusqu’à la trahison et les lenteurs de l’esprit qui égare les cœurs. Le discours après la Cène ne se comprend bien que dans ce cadre, le cadre de la science et de l’amour infinis qui se communiquent sans réserve à des âmes si peu ouvertes ou si irrémédiablement closes.