Isaïe 5, 1-7

Le chant de la vigne

Saint Jean Chrysostome

Sur Isaïe, chapitre 5, n° 1, p. 236

        Après avoir inspiré des sentiments de crainte par ses menaces, puis de joie par ses promesses, Isaïe paraît donner à ses propos un nouvel exorde, semblable au début de sa prophétie. Il avait, en effet, commencé par rappeler aux fils d’Israël les multiples bienfaits de Dieu à leur égard ; il leur avait représenté ensuite les transgressions qu’ils n’avaient pas craint de commettre. Maintenant, avec des expressions différentes, Isaïe leur expose les mêmes observations.

        Mais, puisqu’il va encore leur faire des reproches, pourquoi appeler ce réquisitoire un cantique ? Moïse, pour sa part, avec Marie, sa sœur, avait employé à juste titre ce terme de cantique : au moment d’entonner un chant triomphal, il avait raison de commencer ainsi : Chantons un cantique pour le Seigneur ! Il a fait éclater sa gloire ! Il a jeté dans la mer cheval et cavalier !

        Mais Isaïe, lui, va lancer des reproches ; il cherche des paroles fortes, susceptibles, non d’apaiser l’âme, mais de l’exciter. Et il nous annonce qu’il va chanter ! Comment peut-il appeler cantique son acte d’accusation ? Observons qu’il n’est pas le seul : ce grand Moïse, qui avait chanté son hymne triomphal, compose, lui aussi, quand il veut accuser les Juifs, un long cantique de ses griefs : Est-ce là ce que tu rends au Seigneur, peuple stupide et sans sagesse ? Et ce tissu de reproches, il leur prescrit de le chanter eux-mêmes ! Et nous aussi, nous le chantons encore aujourd’hui !

        Pourquoi donc ont-ils fait de leurs accusations un cantique ? C’est une sagesse toute spirituelle qui les inspirait pour le grand profit des âmes de leurs auditeurs. Si rien n’est plus avantageux que le souvenir constant de ses péchés, rien, par ailleurs, ne rend la mémoire plus sûre qu’une formule musicale. Aussi, le prophète a-t-il composé ce cantique pour que les pécheurs ne se lassent pas devant la gravité des reproches reçus et ne fuient pas le souvenir répété de leurs fautes. Par la mélodie du poème, Isaïe dissimule la honte que pourrait leur causer le rappel de leurs péchés, et il combat un insoutenable découragement. De la sorte, entraînés par l’amour de la musique à chanter continuellement les mêmes paroles, ils pourront apprendre sans cesse la vertu par la mémoire constante de leurs fautes.

        Vous le savez bien, aujourd’hui encore, très nombreux sont les fidèles qui ne connaissent même pas le titre des autres livres de la Bible, tandis que tous ont sur les lèvres le livre des psaumes et les autres cantiques. L’expérience montre donc le profit qu’on tire du chant. Voilà pourquoi Isaïe déclare : Je chanterai à mon bien-aimé le cantique de mon bien-aimé pour sa vigne.