Jérémie 27, 1-15

Le port du jougPaul VI

André Aeschimann

Le prophète Jérémie, commentaire, p. 158s

        Nous voyons, dans le texte que nous venons d’entendre, les efforts accomplis par Jérémie, au cours du règne de Sédécias, pour influencer la politique de son pays dans le sens d’un abandon de la revanche, et d’une acceptation, tout au moins provisoire, de la situation créée par la première prise de Jérusalem par les Babyloniens en 597. Le prophète œuvre dans le concret quotidien, utilisant toutes les armes : actes symboliques, discours, envoi de lettres pour faire triompher ce qu’il sait être la volonté de son Dieu. Alors, pour impressionner les ambassadeurs étrangers, aussi bien que leur interlocuteur royal, Jérémie accomplit un geste spectaculaire destiné à frapper les esprits. Il parait dans les rues de Jérusalem portant sur la nuque un joug, et proclamant qu’il faut accepter le joug de Babylone, sans quoi ce sera la ruine. Bien plus, il prend à partie les émissaires étrangers et les invite à porter à leurs maîtres le message du joug. Il vaut la peine de remarquer que dans le message ainsi adressé aux gouvernements des pays voisins, Jérémie ne leur parle pas d’obéissance au Dieu de l’Alliance, dont ils ne savent rien, mais d’un Dieu Créateur et Maître de l’univers, ce qu’ils peuvent comprendre.

        Certains commentateurs trouvent surprenant, d’aucuns disent même grossier, cet acte symbolique du prophète se promenant avec un joug sur le cou. Mais un prophète n’est pas un esthète, il ne raffine pas sur les moyens à employer, pourvu que la parole de Dieu soit entendue et, ici, vue. N’y a-t-il pas eu jadis un prophète qui s’est affublé de cornes de fer pour prophétiser au roi d’Israël la victoire sur les Syriens ? Et n’a-t-on pas vu Isaïe lui-même, le prince des prophètes, passer nu et déchaussé dans les rues de Jérusalem pour prophétiser que le peuple égyptien sera, lui aussi, emmené en exil dans les conditions les plus humiliantes ?

        Dans une autre circonstance, Jérémie adresse le même message de non-résistance, non plus aux représentants des pays étrangers, mais à ses compatriotes, et notamment au roi Sédécias, prenant vigoureusement à partie les prophètes, hébreux cette fois, qui abusent Israël par leurs prédications systématiquement optimistes et revanchardes. Pourquoi mourriez-vous, alors que la voie de la vie est ouverte devant vous ?