Matthieu 19, 27-29

« Voici que nous avons tout quitté pour Te suivrePaul VI »

Saint Bernard

Sermons sur les paroles de l‘Evangile, OC  7, p. 111s

        Voici que nous avons tout quitté pour Te suivre. En ces paroles est proposé, à notre admiration et à notre imitation, un exemple de conversion véritable. Il faut, en effet, que celui qui pratique la vraie religion abandonne toutes choses et suive le Christ. Et bienheureux l’homme qui se sépare de tous les biens, de telle sorte qu’il marche sur les traces de celui en qui se trouvent tous les biens. Ceux qui veulent suivre Jésus-Christ d’un esprit dégagé ont trois empêchements à laisser derrière eux, l’avarice, l’orgueil et la luxure : l’avarice du monde, l’orgueil du cœur et la luxure de la chair. Saint Pierre nous apprend, par son exemple, que ce sont là les trois choses qu’il faut surtout abandonner. Lui, en effet, il quitta ses filets, sa barque et son épouse. Le filet qui rassemble et enferme les poissons, désigne la cupidité qui, enflant l’homme d’une manière déréglée, le porte à joindre une maison à une autre maison, et un champ à un autre champ. La barque, qui vogue au-dessus des eaux, dénote l’orgueil qui élève l’homme au-dessus des autres. L’épouse exprime la volupté charnelle. Attachées à l’homme, ces trois choses l’emportent et l’entraînent : l’avarice le fait se répandre hors de lui, l’orgueil l’élève au-dessus de lui, la luxure le souille au-dedans de lui. La préoccupation le fait errer au-dehors, sa propre estime l’élève, la délectation du monde le souille. A l’extérieur il craint, en haut il est enflé, au-dedans il est infecté. Il craint le diminution de la fortune qu’il a acquise, il craint de ne pouvoir obtenir ce qu’il désire ; il s’enfle en méprisant ses inférieurs, en se préférant à ses égaux et en s’égalant à ses supérieurs. Il répand une mauvaise odeur par les pensées, les actions et les habitudes. L’avarice éloigne l’homme du prochain, l’orgueil l’éloigne de Dieu, et la luxure l’éloigne de lui-même. L’avarice l’aveugle, l’orgueil le pend, la luxure le fait pourrir.

        Par le secours de la grâce de qui nous semblons avoir quitté ces vices s’il faut en croire la voie de pauvreté où nous nous efforçons de marcher, l’habit d’humilité que nous avons reçu, l’observance de la pureté  dont nous avons fait vœu. En entrant dans la route de la pauvreté, nous avons éloigné de nous l’avarice ; en prenant l’habit de l’humilité, nous avons déposé l’orgueil ; par le vœu de la chasteté, nous avons abandonné la luxure. Si dans les vices que nous avons quittés se trouve la ruine de toute honnêteté, de même dans les vertus vers lesquelles nous avons porté nos pas, consiste le comble de l’honnêteté. La religion, en effet, est fondée sur l’humilité, la pauvreté la conserve, la pureté l’embellit.