Juges 4, 1-24

Déborah, la prophétessePaul VI

Adin Steinsaltz

Hommes et femmes de la Bible, p. 109s

        Déborah n’est pas la seule prophétesse de la Bible, mais elle est celle dont le portrait est le plus complet et le plus détaillé. En outre, elle figure parmi les juges d’Israël : ce dernier titre la distingue de prime abord puisqu’en ces temps-là, tout comme pendant de nombreuses générations, les détenteurs de telles fonctions étaient des hommes.

        Cependant, nous pouvons affirmer avec les Sages que ce rôle de juge fut secondaire par rapport à son rôle de prophétesse. Déborah devint juge parce qu’elle était prophétesse, et non le contraire. A cet égard, elle s’apparente au dernier juge, Samuel. Celui-ci fut avant tout un prophète, et c’est à ce titre qu’il dirige la nation, en temps de guerre comme en temps de paix.

        Déborah incarne une prophétesse exceptionnelle de la Bible ; elle diffère considérablement du portrait classique de la prophétesse de l’Antiquité. Le don de prophétie était habituellement réservé aux vierges et aux ascètes ; les femmes qui se consacraient à elle étaient ainsi libérées du joug de la vie quotidienne. Elles devaient demeurer à part, protégées des séductions et des tentations de la vie normale, de manière à concentrer leurs forces spirituelles et physiques vers l’accomplissement de l’unique objectif : développer leur don exceptionnel. De nos jours encore, le concept du monachisme reflète la même approche.

        Déborah, tout comme Myriam, Houlda et les autres prophétesses, assumait pleinement son rôle de femme mariée. Ceci est d’ailleurs révélateur de l’attitude juive, non seulement à l’égard des prophétesses, mais aussi à l’égard de la prophétie en général. Dans le judaïsme, la prophétie n’est pas perçue comme l’expérience d’un individu insolite, doué de pouvoirs parapsychologiques ou dotés de rares attributs spirituels, ne pouvant se développer qu’au détriment des autres manifestations de sa personnalité. Le prophète est plutôt considéré comme un être parfait et intègre ; loin d’être un excentrique, il est celui qui a atteint un état de perfection dans l’ensemble de son être. La prophétie se dévoile quand le prophète énonce la parole de Dieu : il devient alors un instrument de la force suprême, et, au moment de la révélation, il ne ressemble plus tout à fait à un être humain. Mais lorsque la prophétie est précédée d’une préparation, elle n’est pas en elle-même un processus conscient. En outre, la prophétie s’accompagne d’un certain éclatement, voire d’une certaine désintégration de la personnalité, pendant le moment précis de la révélation. Mais en dehors de ces moments exceptionnels, il n’est pas demandé au prophète de se retrancher du monde.