1 Corinthiens 2, 1-16

Vie Trinitaire et Vie ThéologalePaul VI

Père Joseph Moingt

Christus, 1959, tome 6, p. 309s

        S’il existe plusieurs spiritualités, c’est-à-dire plusieurs façons particulières de sentir et de vivre la religion, selon les attraits et les dons de la grâce, en mettant l’accent sur tel ou tel de ses aspects fondamentaux, il est juste néanmoins de parler de la spiritualité chrétienne pour distinguer de toute autre conduite religieuse la voie par laquelle le Christ conduit les hommes à son Père dans son Esprit-Saint. Parce que cette voie unique se définit nécessairement par rapport aux trois Personnes divines, le Fils en ayant l’accès, le Père en étant le terme, l’Esprit y servant de guide, il n’y a pas de spiritualité particulière qui puisse être appelée trinitaire, comme si les autres ne l’étaient pas ou pouvaient se dispenser de l’être ; par contre, et pour le même motif, la vie chrétienne de chacun, doit se développer attentivement en vie trinitaire, si elle veut être pleinement conforme à la religion révélée.

        Car les sentiments de fond qui différencient les principales attitudes spirituelles se retrouvent en toute religion : de tout temps, l’homme a cru et espéré, contemplé et adoré, il a craint quelque châtiment, attendu quelque récompense, il s’est construit un idéal moral et ascétique accordé à son idée de Dieu, il a voulu entrer en rapport avec lui, il a désiré et redouté de le voir. Mais, dans l’obscurité de la recherche, il sombrait dans la contradiction, il éloignait Dieu infiniment de lui, et l’enfermait dans les ouvrages de ses mains, il n’osait pas concevoir un salut pour la chair et il en prêtait à Dieu les pires faiblesses. En face de ces religions d’aliénations, le christianisme est apparu à certains philosophes comme l’avènement de l’homme à la divinité et ils ont pensé que l’homme pouvait désormais se passer de Dieu et se faire dieu tout seul. Mais le chrétien sait qu’il doit son élévation à l’abaissement de Dieu vers lui, et l’histoire contemporaine a cruellement montré quelle déchéance attend l’homme qui ne veut plus s’humilier et mourir comme Dieu l’a fait pour lui, quel désespoir quand il attend tout de soi et ne sait plus attendre d’un Autre.

        Trois points mettent le christianisme, non seulement au-dessus, mais encore à l’écart de toute religion, trois mystères révélés, trois réalités surnaturelles, trois scandales pour notre raison : Dieu s’est fait chair pour faire de nous, ses enfants, à cause de quoi nous verront de nos yeux de chair la face du Dieu vivant, mais dès maintenant, pont jeté entre le temps et l’éternité, entre le ciel et la terre. Dieu habite en nos corps, et nous avons reçu le pouvoir d’édifier de notre humanité le Temple de sa Gloire. Trois points qui définissent l’essence trinitaire de la religion chrétienne, en ce que nous croyons du Fils, en ce que nous espérons du Père, en ce que nous vivons par la charité de l’Esprit-Saint. Trois points qui doivent imprégner et guider notre spiritualité chrétienne, son esprit et sa pratique.