Apocalypse 15,5 – 16,21

« Comme un voleur » (Apocalypse 16,15)

Père Michel de Certeau

Christus, n° 12, 1965, p. 25s

        Les nouveautés suscitent en nous, chrétiens, des résistances où se mêlent, à notre insu, le devoir de manifester la continuité de la foi et l’inquiète défense de nos positions. Enracinés dans un passé chrétien, nous sommes menacés d’immobilisme par une conception de la vérité qui nierait à l’avance toute remise à jour ; et nous en viendrions ainsi à méconnaître le Dieu Vivant au nom de la connaissance que nous en avons déjà. A l’inverse, sensibilisés aux changements qui bouleversent notre vie et le monde, nous risquons de perdre, avec le sens de la tradition, l’intelligence du Mystère qui unifie l’histoire du salut ; et nous laisserions ainsi la foi se dissoudre dans un empirisme toujours à la remorque de l’actualité. Entre la fidélité à la révélation et la docilité aux événements, la tension devient crise lorsque s’accentue la différence entre le passé et le présent. Un discernement s’impose. La certitude fondée sur Dieu va-t-elle exclure toute nouveauté ? La perméabilité aux signes du temps va-t-elle compromettre la vérité dont nous avons à témoigner ?

        La question est déjà au cœur de l’Evangile. L’événement pas excellence déchire le peuple entre son passé et le présent : Jésus confirme l’Alliance par l’acte même qui la modifie et la renouvelle. Il assume l’héritage des Pères, mais il change l’Ancien en Nouveau Testament. C’est par son irruption qu’il révèle le sens de la tradition qu’il reprend. Tant de fois annoncé, le Messie, une fois-là, provoque une crise et une division ; le Christ ravit aux siens leurs sécurités et leurs privilèges, mais pour y dévoiler le don accordé à tous et promis par les prophètes. Simultanément, il renverse et approfondit la réponse que la fidélité de Dieu se préparait depuis le commencement des temps.

        Il nous faut méditer cet événement tel que l’Evangile le présente à notre foi, c’est-à-dire comme la forme de toute expérience chrétienne. Peut-être y reconnaîtrons-nous ce que nous avons-nous-mêmes à vivre, et peut-être les imprévus ou les bouleversements, qui semblent remettre en cause la vérité ou liquider notre passé, nous feront-ils comprendre,  à leur tour, ce qu’a été et ce que ne cesse d’être la venue du Seigneur : Voici que je viens comme un voleur. Les Evangiles affirment qu’il en fut ainsi de toute rencontre avec Jésus ; chaque scène nous décrit de quelle manière survient le Voleur. Ces passages évangéliques nous apprennent comment l’événement reste notre maître intérieur, comment la surprise devient révélation, comment l’imprévisible peut renouveler notre foi en Dieu qui, pris de passion pour nous, a voulu faire de notre vie l’histoire de ses inventions. Alors toute circonstance nous dira tout bas, comme à Marthe et à Marie : Le Maître est là, il te demande.