Matthieu 26, 14-25

« Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai »

Saint Jean Chrysostome

Première homélie sur la trahison de Judas, OC 3, p. 622s

        Que voulez-vous le donner, et je vous le livrerai. Dis-moi, traître, est-ce là ce que t’enseignait le Christ ? Ne vous recommandait-il pas de ne posséder ni or, ni argent, ni monnaies dans vos ceintures, cherchant dès lors à contenir votre avarice ? Ne revenait-il pas constamment sur ce sujet ? Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai. Insensé ! Qu’as-tu donc de si grave à reprocher à ton maître pour le trahir de la sorte ? Voilà donc comment tu le remercies pour tous les bienfaits qu’il t’a procurés ! Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai. Quelle démence, ou plutôt quelle avarice, car c’est l’avarice qui conduisit un si noir dessein, c’est par cupidité que le disciple trahit son maître. Telle est cette funeste passion : lorsqu’elle a pénétré dans une âme, il y réveille des fureurs que le démon n’y réveillerait pas, elle nous aveugle sur toutes choses, sur le prochain, sur nous-mêmes, sur toutes les lois naturelles ; elle nous ôte la raison, et nous emporte aux plus violentes extrémités. Que de choses elle déroba à l’attention de Judas ! Sa familiarité, ses rapports passés avec le divin Maître, la part qu’il avait eue à sa table, ses miracles, sa doctrine, ses avertissements, ses représentations, tout cela s’évanouit dans l’oubli devant l’amour de l’argent. Paul ne s’écriait-il pas : La racine de tous les maux, c’est la cupidité.

        Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai. Que de folie dans cette parole ! Quoi ? Tu te charges de livrer celui qui régit l’univers, celui qui commande aux démons, qui impose des ordres à la mer, qui est le Maître absolu de toute la nature !

        Jésus répétait souvent : L’un de vous me trahira. Jamais il n’a désigné Judas. Et Judas, lui, demeurait insensible à tout ce que disait Jésus, et Jésus, lui, ne voulait pas user de contrainte à son égard. Nous ayant laissé libres de choisir le bien ou le mal, Dieu veut que, si nous sommes bons, nous le soyons avec une pleine liberté. Et si nous nous y refusons, il ne recourt ni à la force, ni à la violence, car être vertueux par force, c’est de ne pas l’être du tout. Judas était donc dans la parfaite possession de son libre arbitre : il était en son pouvoir de céder, ou de ne pas céder à l’avarice, lorsque, s’aveuglant lui-même et sacrifiant son salut, il alla dire aux Juifs : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai.