Hébreux 12, 1-13

Endurance dans l’épreuve

Saint Grégoire le Grand

Règle Pastorale, III, 13, SC 382, p. 337s

        Il faut avertir différemment ceux qui craignent le châtiment, et, de ce fait, vivent sans faire le mal, et ceux qui se sont tellement endurcis dans l’iniquité que le châtiment même ne peut les corriger. Il faut dire à ceux qui craignent le châtiment de ne désirer nullement, comme s’ils étaient d’un grand prix, les biens temporels, qu’ils voient possédés par les méchants eux-mêmes, et de fuir nullement, comme insupportables, les maux présents, dont ils n’ignorent pas qu’ils touchent d’ordinaire même les bons. Il faut les avertir d’avoir la terreur des supplices éternels, s’ils désirent vraiment être exempts du malheur, et de ne pas s’en tenir à cette crainte des supplices, mais de grandir dans la générosité de l’amour, grâce à l’aliment de la charité. Car il est écrit : La parfaite charité bannit la crainte. Et encore : Vous n’avez pas reçu un esprit d’esclave, pour retomber dans la crainte, mais un esprit de fils adoptifs, dans lequel nous crions : Abba, Père. Et le même docteur dit encore : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.

        Dès lors, si l’effroi qu’inspire la peine est ce qui retient d’agir mal, il est sûr que la liberté de l’Esprit ne règne nullement au cœur qui éprouve cet effroi. Car s’il ne redoutait pas la peine, il commettrait la faute, n’en doutons pas. Elle ignore donc la généreuse liberté, l’âme que lie une servile crainte. Le bien doit être aimé pour lui-même, et non pas accompli sous la pression de la peur. Quand on fait le bien parce qu’on craint le mal des tourments, on voudrait n’avoir rien à craindre, afin de pouvoir commettre hardiment ce qui est défendu. Il est clair, plus que le jour, qu’au regard de Dieu on perd l’innocence, puisque, sous ce regard, on pèche par désir.

        Par contre, il faut secouer, ceux que les châtiments mêmes ne retiennent pas sur la pente du mal, par une semonce d’autant plus vigoureuse qu’ils se sont endurcis davantage dans l’indifférence. Avec eux, qu’on affecte d’ordinaire le mépris, sans mépriser, la désespérance, sans désespérer ; on montrera qu’on désespère d’eux juste assez pour les jeter dans la crainte, et on ajoutera une exhortation qui redonne espoir.