Romains 14, 1-23

Le courage du martyr

Saint Bernard

Soixante et unième sermon sur le Cantique des cantiques, OC 4, p. 447s

       L’Epoux dit : Ma colombe est dans les trous de la pierre : le martyr met toute sa dévotion à s’occuper sans cesse dans le souvenir des plaies de Jésus-Christ, à s’y arrêter et à y demeurer par une méditation continuelle. C’est ce qui lui fait souffrir le martyr avec tant de courage, c’est ce qui lui donne tant de confiance dans le Très-Haut. Le martyr n’a point à craindre de lever un visage défait et livide vers celui dont les meurtrissures et les plaies l’ont guéri. Pourquoi le craindrait-il, puisque le Seigneur l’y invite même en lui disant : Montre-moi ta face. Pourquoi ? Je pense que ce n’est pas tant parce qu’il veut la voir que parce qu’il désire lui-même être vu d’elle. Car qu’est-ce qu’il ne voit pas ? Il n’a pas besoin qu’une personne se montre à lui pour la voir, puisqu’il voit toutes choses, même celles qui sont cachées. Il veut donc être vu. Ce chef plein de bonté veut que son brave soldat jette les yeux sur ses plaies afin que cela serve à l’encourager, et que, par son exemple, il devienne plus fort pour supporter les tourments.

       Car, tandis qu’il regarde les blessures du crucifié, il ne sentira pas les siennes. Tout martyr demeure intrépide, ravie de joie et triomphant de lui-même, pendant que son corps est tout déchiré de coups ; il regarde couler son sang sacré, non seulement avec confiance, mais même avec allégresse. Où est donc alors son âme ? Elle est en lieu de sureté, elle est dans la pierre, elle est dans les entrailles de Jésus, où elle entre par la porte de ses plaies. Mais habitant dans la pierre, qu’elle en prenne la dureté. Quelle merveille qu’étant bannie du corps, elle n’éprouve aucune sensation corporelle ? Ce n’est pas en effet de l’insensibilité, elle se l’assujettit, elle n’est pas exempte de douleur, mais elle la surmonte, elle la méprise. C’est donc de la pierre que vient le courage des martyrs, c’est ce qui les rend puissants pour boire le calice du Seigneur. Et que ce calice dont le vin enivre est beau ! Il est, dis-je, excellent et agréable, et ne l’est pas moins au général qui regarde qu’au soldat qui triomphe. Car leur courage fait la joie du Seigneur. Et comment ne se réjouirait-il point à la suite d’une confession généreuse, puisqu’il la désire avec tant d’empressement ? Que votre voix, dit-il, retentisse à mes oreilles. Aussi le Seigneur ne tardera-t-il point à rendre la récompense qu’il a promise, car il s’empressera de reconnaître devant son Père celui qui l’aura confessé devant les hommes.