Romains 12, 1-24

« Tendre l’autre joue à qui te gifle »

Saint Augustin

Lettres, OC 5, Lettre 138 à Marcelin, p. 178s

       Il y a des gens pour objecter que la prédication et la doctrine du Christ sont tout à fait incompatibles avec les usages courants. Le précepte ne rendre à personne le mal pour le mal ; si quelqu’un te frappe sur une joue lui tendre l’autre ; de laisser aussi ton manteau à qui veut prendre ta tunique ; de marcher deux mille pas avec qui te force à en faire mille. Tout cela, disent-ils, est contraire aux pratiques normales. Qui supporterait, en effet, de voir l’ennemi lui enlever quoi que ce soit ? Qui, selon les lois de la guerre, ne rendrait le mal pour le mal à qui ravagerait une province ? Demande à ces objecteurs : comment alors certains qui préfèreraient pardonner une injure plutôt que de la venger, ont-ils pu gouverner un pays, et même l’agrandir ? De pauvre qu’il était, ils l’ont rendu puissant et riche, tel Salluste. Et Cicéron, pour louer les pratiques de César, nous dit : « Il ne savait oublier que les injures ». Louange ou flatterie ? S’il s’agit d’une louange, c’est qu’il connaissait César comme tel. S’il s’agit d’une  flatterie, c’est qu’il voulait montrer que tel doit être un chef d’état. Ne pas rendre le mal pour le mal, n’est-ce pas la même chose  qu’avoir la vengeance en horreur ? Et que veut dire « oublier les injures », sinon préférer les pardonner que les venger ?

       Dans les Eglises du Christ, on lit à haute voix des préceptes de concorde qui ne sont pas le fruit de vaines discussions, mais sont dictés par l’autorité divine. Qui pourrait l’ignorer ? Et pourtant, voilà les préceptes que l’on blâme au lieu de les approfondir. Car, tendre l’autre joue à qui te gifle, donner ton manteau à qui exige ta tunique, on le fait pour que le méchant soit vaincu par le bon, le mal par le bien, et pour que la personne soit délivrée d’un mal qui ne lui est pas extérieur et étranger, mais qui réside en elle et lui est sien, mal intime, plus grave, plus pernicieux que la cruauté de tout ennemi extérieur. Celui qui triomphe du mal par le bien supportera avec patience la perte de possessions temporelles pour faire voir à quel point il faut mépriser pour la foi et la justice, des choses qui entraînent au mal si on les aime trop. Celui qui a infligé une injure apprend de celui qui l’a reçue ce que valent ces biens, occasion d’injustice. Alors vaincu, non par la violence, mais par la bienveillance, il revient à des sentiments d’union et de concorde, si utiles aux sociétés humaines. On agit bien envers l’autre lorsqu’on cherche à le faire progresser afin de le ramener au bien et à l’amour de la paix.