Jean 2, 1-11

« Ils n’ont plus de vin »

Isaac de l’Etoile

Sermon 10, SC 130, p. 223s

       C’est par la folie de la prédication et par la faiblesse de la souffrance qu’il a plu au Seigneur lui-même de sauver ceux qui croient, d’enivrer ainsi ceux qui boivent aux noces. Car la folie même et la faiblesse sont peut-être l’eau, cette eau qu’il change en vin, c’est-à-dire en sagesse et en force, car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse se révèle plus fort. Le monde, est-il dit, n’a pu connaître Dieu par la sagesse, car il n’avait pas de vin ; aussi a-t-il plu à Dieu d’employer la folie, c’est-à-dire d’abreuver les convives avec de l’eau, non sans l’avoir d’abord changée en vin, c’est-à-dire transformée en sagesse.

       Il est d’abord parlé et en toute vérité d’un vin excellent. C’est par comparaison avec lui et sa valeur que l’on critique le vin servi d’abord, c’est-à-dire la sagesse de ce siècle dont la sagesse de Dieu a fait une folie, cette sagesse des philosophes, eux qui se sont heurtés à la pierre qui est le Christ. Où est le sage, où est le scribe, où est le raisonneur de ce siècle ? Les sages ont été pris à leur propre astuce : ils se sont troublés, ils ont chancelé comme l’ivrogne, toute leur sagesse a été renversée, ils ont bu et le vin a manqué.

       Il est bon aussi pour toi, frère, il est utile que ton propre vin te manque ; que Jésus fasse d’abord remplir tes vases avec de l’eau et qu’ensuite il la change en vin. Ecoute le Docteur des nations, écoute un des serviteurs qui savent d’où vient et comment a été produit le bon vin. Si parmi vous, dit-il, quelqu’un paraît sage, c’est-à-dire a du vin, qu’il le vide soigneusement pour être rempli de vin excellent, c’est-à-dire qu’il devienne fou pour être sage, qu’il se vide de l’orgueil, car celui qui s’imagine savoir quelque chose ignore encore comment il faut savoir. Et même malheur à ceux qui sont sages à leurs propres yeux, car, se déclarant sages, ils sont devenus fous. Qu’ils se remplissent d’eau, c’est-à-dire qu’ils prennent conscience de leur sottise et de leur faiblesse. Qu’ainsi ils s’apparaissent à eux-mêmes tels qu’ils sont, pour devenir bien vite ce qu’ils ne sont pas encore. Qu’ils soient fous pour devenir sages. Qu’ils acceptent l’eau pour boire le vin, qu’ils renoncent à eux-mêmes, c’est-à-dire à leur propre sens et à leur propre volonté, pour progresser en sagesse et en charité par la vertu d’obéissance. Telle est selon nous la signification de cette parole : Vous leur ôterez l’esprit, ils tomberont et retournerons dans la poussière, car ici poussière a le même sens que l’eau, ici l’Esprit de Dieu a le même sens que le vin du Christ. Envoyez votre Esprit, est-il dit, comme si on disait : « Donnez votre vin, et ils seront créés en un homme nouveau, ils seront pour ainsi dire enivrés.