Philippiens 1,27 -2,11

De condition divine, il s’est dépouillé devenant semblable aux hommes

Père Joachim Gnilka

La carrière du Christ, appel à l’union et à la charité, AS 57, p. 15s

        La carrière du Christ débute dans l’éternité de Dieu. L’hymne, que nous venons d’entendre, nous présente un des plus anciens essais de réflexion théologique sur la préexistence du Fils de Dieu ; cette réflexion n’a pas encore trouvé une expression parfaitement claire. Et l’intérêt se porte plus intensément sur l’événement suscité par Dieu que sur la préexistence. Cependant la carrière historique du Christ commence et l’on considère son origine en Dieu. C’est un être qui se trouvait dans la condition de Dieu. Il ne suffit pas de dire qu’il était dans la forme de Dieu ; il était en réalité totalement déterminé par la substance de Dieu, il était comme Dieu, il était Dieu.

       C’est à ce titre qu’il décida, en toute liberté, de quitter son état divin. La liberté de Celui qui agit est ici soulignée. Il échange son état divin contre l’état d’esclave. Cette formule est destinée à montrer la transformation complète de Celui qui agit dans la liberté. On ne peut concevoir de distance plus grande que celle qui existe entre Dieu et un esclave. Cette distance est incommensurable. Personne n’aurait pu la franchir, Lui seul en était capable. Le dépouillement, la kénose, a le même sens que l’Incarnation : Dieu s’est fait homme.

       En ce début de la christologie, il n’est pas étonnant qu’on n’ait pas encore pu expliquer de façon précise comment, dans ce dépouillement total, est sauvegardée la personne de Celui qui est égal à Dieu et à l’esclave. La prise de conscience de l’Incarnation de Dieu a tellement frappé le théologien chrétien primitif qu’il met tous ses efforts à faire partager à ses auditeurs le choc qu’il a ressenti lui-même. On reste cependant surpris d’entendre parler de l’état d’esclave pris par Celui qui était égal à Dieu.

Il est remarquable que, dans notre hymne, la condition de l’homme est comprise comme un esclavage. Cette conception de la vie humaine correspond à celle du milieu hellénistique dont notre hymne a subi l’influence. Le Christ, s’étant engagé dans la condition d’esclave, s’est solidarisé totalement avec les hommes. Cette solidarité s’exprime par les mots semblable aux hommes, au singulier s’étant comporté comme un homme. La chaîne des générations humaines que rejoint le Dieu incarné, il la rejoint en un point déterminé. Il est réellement homme. Il est un chaînon de l’histoire des hommes, il est devenu l’un d’eux : on peut vérifier sa réalité d’homme.