Matthieu 1, 16+18-21+24a

Pourquoi le silence de Joseph ?

Saint Bernard

Deuxième homélie sur le Missus est, OC II, p. 601s

            Pourquoi Joseph voulut-il renvoyer la Vierge Marie ? Prends cette interprétation qui n’est pas la mienne, mais celle des Pères : Joseph voulut la renvoyer pour la même raison qui faisait dire à Pierre : Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur, et au centurion : Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Pierre trembla devant la puissance divine, et le centurion trembla en présence de la Majesté. Joseph lui aussi trembla de crainte, comme il était humainement normal, devant la profondeur du mystère ; il se jugeait indigne et pécheur, se disait à lui-même qu’il ne devait pas rester plus longtemps dans la familiarité d’une femme si parfaite, si sainte dont l’admirable grandeur le dépassait tellement et lui inspirait même de l’effroi ; il voyait en Marie, avec stupeur, la présence de Dieu, et comme il ne pouvait pénétrer ce mystère, il avait formé le dessein de la renvoyer secrètement. De même, la grandeur et la puissance de Jésus inspirait une sorte d’effroi à Pierre, comme la pensée de sa présence majestueuse déconcertait le centurion ; aussi Joseph, n’étant qu’un simple mortel, se sentait également déconcerté par la nouveauté d’une si grande merveille, et par la profondeur d’un tel mystère ; voilà pourquoi il songeait à renvoyer secrètement Marie.

            Faut-il vous étonner que Joseph se soit trouvé indigne de la société de la Vierge devenue enceinte, quand on sait qu’Elisabeth ne put supporter sa présence sans une sorte de crainte mêlée de respect ? En effet, d’où me vient, s’écria-t-elle, ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Voilà donc pourquoi Joseph voulait la renvoyer.

            Mais pourquoi avait-il l’intention de le faire en secret, non oint ouvertement ? De peur, sans doute, qu’on ne lui demandât la cause de ce divorce, et qu’il ne fut obligé d’en faire connaître le motif. Qu’est-ce qu’il aurait pu répondre à un peuple à la tête dure, à des gens incrédules et contradicteurs ? S’il leur avait dit ce qu’il pensait, et la preuve de la pureté de Marie, est-ce les Juifs incrédules et cruels ne se seraient pas moqués de lui et n’auraient point lapidé Marie ? Comment auraient-ils pu croire à la Vérité muette encore dans le sein de la Vierge, eux qui ont méprisé sa voix quand elle leur parlait dans le Temple ? C’est donc avec raison que cet homme juste, pour ne point être dans l’alternative, ou de mentir, ou de déshonorer une innocente, prit le parti de la renvoyer en secret.