sur Genèse 11, 1-26

Saint Maur et la Règle de saint Benoît

Bienheureux Pierre le Vénérable

Lettre 239 dans les Œuvres complètes de saint Bernard, tome 1, p. 315s

 

Assurément, c’est animés de plus louables intentions qu’à l’exemple d’Esdras et des Maccabées qui ont relevé la Loi et le Temple de leurs ruines, vous faites  de votre côté tous les efforts imaginables pour réparer les brèches trop nombreuses faites à l’état monastique. Vous essayez ainsi de ramener la tiédeur de nos jours à la ferveur des anciens temps. Pour cela, vous interprétez la Règle de saint Benoît de manière que ceux qui se sentent la force de vous suivre sur ce chemin éprouvent le désir de le faire, et que ceux qui sont plus faibles n’en soient point effrayés. De sorte que ceux qui ne peuvent pas se nourrir du pain des forts boivent du moins le lait des faibles, s’en nourrissent et vivent tout de même ainsi. Après tout, à l’aide de ces tempéraments, celui qui ne peut arriver au but en fournissant une course de longue haleine a le moyen d’y atteindre en marchant pas à pas ; c’est qu’en effet on n’est pas moins citoyens de la patrie céleste, qu’on y arrive en un mois ou seulement en un an ; soit dit toutefois sans retirer au voyageur le mérite du plus ou moins de diligence qu’il aura faite, car il est bien sûr que chacun sera récompensé qu’en proportion de son mérite.

Vous avez, pour vous, dans cette manière de voir, l’autorité même de saint Benoît qui vous dispense d’obéir rigoureusement à sa Règle dès que la charité demande que vous ne vous y astreigniez pas. Et vous, de votre côté, vous vous appuyez aussi sur l’autorité de saint Benoît qui veut que la charité et le salut des âmes à tout prix soient la fin suprême et le but unique de sa Règle ; vous vous autorisez de plus de l’exemple de saint Maur, le plus grand disciple de notre fondateur, envoyé par saint Benoît dans les Gaules, il s’appuya sur des considérations pareilles à celles que je viens de développer pour modifier, dit-on, plusieurs points de la Règle de son maître. Après ce saint, vous pouvez encore alléguer en faveur de votre manière de voir la conduite des Abbés d’un grand nombre de monastères qui jugèrent à propos de modifier plusieurs points de la Règle selon les temps, les lieux et les personnes au milieu desquelles ils vivaient ; la sainteté de leur vie, et les nombreux miracles que Dieu a daigné opérer par eux de leur vivant ou après leur mort, montrent plus clair que le jour qu’ils étaient inspirés par le Saint Esprit en agissant comme ils l’on fait.