sur Actes 9,27-31 . 11,19-26

Luc, un missionnaire itinérant ?

François Bovon

Luc, portrait et projet, Lumière et Vie n° 153-154, p. 16s

 

Où situerai-je l’évangéliste Luc ? Laissant libre cours à mon imagination, je songerais plutôt à la situation d’un évangéliste itinérant, installé sur le pont d’un bateau ou dans une maison accueillante. En effet, Luc s’intéresse à la fondation et non à l’édification des communautés. Une fois les premiers convertis baptisés, il les abandonne à leur sort et dirige l’attention vers de nouvelles conquêtes. Son regard n’est pas celui d’un directeur de conscience, ni d’un prêtre de paroisse, c’est celui d’un missionnaire de la fin du premier siècle. La tradition qui voit en l’évangéliste un compagnon de voyage de Paul a senti juste. Luc doit faire partie de l’une des équipes d’évangélisation qui, après la mort des apôtres, a poursuivi la tâche. Itinérant, il se distingue pourtant des prophètes et des évangélistes tout occupés à sillonner l’Empire. Car, actif dans l’Eglise, il sait aussi se retirer, provisoirement, pour offrir à ses collègues, aux croyants, et, finalement, au public cultivé, une œuvre littéraire susceptible d’éveiller la curiosité ou de consolider la foi.

S’il appartient à un groupe d’évangélistes itinérants, nous devons renoncer à fixer le lieu d’où il écrit. Il n’est pas superflu, en revanche, de se demander quelle est son origine personnelle. Une vieille tradition attestée par Eusèbe et par Jérôme, confirmée par une variante dans le texte des Actes des Apôtres, situe sa patrie à Antioche. Un indice incite à la placer dans le bassin de la mer Egée, peut-être à Philippes : plusieurs protagonistes de l’œuvre lucanienne commencent leur ministère dans leur propre patrie : Jésus à Nazareth, Paul à Tarse. Or le « nous », qui est peut-être un subterfuge littéraire, apparaît dans le cadre du voyage de Paul de Troas à Philippes. C’est d’ailleurs Philippes et l’administration municipale de cette cité que l’évangéliste connaît le mieux.

Etait-il juif de naissance ? On peut en douter. Sa relation à la Loi de l’Ancien Testament, considérée comme un joug intolérable, ne peut guère être celle d’un circoncis. Il convient plutôt de situer notre auteur dans la frange païenne de la communauté juive. Les craignant-Dieu retiennent son attention : attirés par la discipline juive et le monothéisme, ces hommes et ces femmes hésitent pourtant à franchir la barrière. Leur aspiration à rencontrer un Dieu universel butait sur les prescriptions rituelles ressenties comme sectaires. Ces gens-là s’enthousiasmèrent pour une secte juive, le christianisme, qui maintenait l’essentiel de l’héritage juif tout en l’ouvrant aux dimensions du monde, sinon du moins de l’Empire.