Sur Jérémie 9, 1-11 . 16-21

Corruption morale de Juda et lamentations à Sion

 

Père Jean Steinmann

Le prophète Jérémie, sa vie, son œuvre et son temps, p. 155s

 

Cet oracle de Jérémie, que nous venons de lire, veut justifier, sinon une tentative de fuite de la part du prophète, du moins son intense besoin d’évasion. Jérémie voudrait échapper à la meute qui le traque. Ce qu’il incrimine chez ses anciens amis, dans sa famille et son village, c’est la contagion du mensonge qui pourrit toutes les relations sociales et anéantit toute fraternité. L’accent personnel et vécu de cette page est frappant. Elle exhale moins l’irritation que la nausée. La décomposition morale de Juda est telle qu’il suffit à Jérémie de décrire ce qui se passe pour écœurer son lecteur.

Son poème aura la singulière formule d’inspirer aux auteurs des psaumes des lieux communs à l’usage des moralistes. Par eux, il atteindra saint Paul, dont le début de la lettre aux Romains développe une dialectique du salut, où la véracité  divine s’oppose à l’essentielle mauvaise foi de la créature. Sans aller jusque-là, Jérémie est le premier héros de l’Ancien Testament qui ait eu le courage et la lucidité d’exprimer avec tant d’âcreté l’inutilité de l’action. Dans son dernier vers, Aussi au creuset vais-je les brûler et les éprouver car que faire devant leur perversité ?, il montre Dieu découragé par la perversité humaine. Le feu seul, celui du creuset, en aura raison. Evidemment, il n’y a pas là de place pour la charité, l’indulgence et la commisération. Mais Jérémie n’était pas Jésus. Ces pages de feu n’expriment que l’aspect partiel d’un drame humain d’une épouvantable confusion.

 

Suivent toute une série de Lamentations. Le pays est ravagé, comme par un incendie. Les bêtes elles-mêmes se sont enfuies, il n’y a plus rien dans les champs pour les nourrir.

Les pleureuses, accompagnatrices obligées des funérailles, se rassemblent à Sion. Il s’agit du plus grand deuil national. Ces femmes savent seules pousser ces cris sauvages et déchirants, ces exclamations gutturales, accompagnées de battements des mains, d’égratignures sanglantes qui consolent les mânes des morts et satisfont le masochisme des survivants. En dépit de ces deuils, la vie va reprendre à Jérusalem ; la tragédie n’avait pas encore atteint son dénouement sauvage, le point final de sa maturité barbare.