Sur Juges 16, 4-6 . 16-31

Samson, le héros malheureux

Père A. M. Dubarle

Les hommes et les œuvres de Dieu, Samson, VS 72, p.414-415

 

Samson s’éprend d’une femme nommé Dalila. Circonvenue par les chefs de son peuple, celle-ci cherche à connaître le secret de cette force prodigieuse, pour pouvoir livrer à ses compatriotes un adversaire si dangereux. Samson se joue d’abord de sa maîtresse, puis, lassé de son insistance, il lui découvre la vérité : sa longue chevelure est consacrée à Dieu, elle le voue, tel un guerrier, à la lutte contre l’ennemi national, et en même temps lui est un gage de l’assistance d’en haut. Dalila profite traitreusement de cette confidence pour raser la tête de son amant endormi. Il est dès lors une proie facile pour les Philistins qui lui crèvent les yeux et le condamnent à tourner la meule comme un esclave.

Cependant, l’âme du captif n’est point domptée par ce traitement barbare. Les Philistins voient dans leur capture un signe de la bienveillance de leur dieu Dagon. Ils se rassemblent pour lui rendre grâces, et, au cours de cette fête, désirent jouir de la vue de leur ennemi humilié. Samson est amené ; après avoir dansé devant l’assemblée, il obtient de se reposer contre des poteaux soutenant une tribune pleine de spectateurs. Il invoque alors son Dieu, et, ébranlant les poteaux, fait écrouler la tribune. C’est ainsi qu’il meurt avec ses ennemis. Cette fin héroïque consacrait en même temps le triomphe du seul vrai Dieu sur l’idole philistine.

Ce qui fait la valeur du geste de Samson, ce ne sont pas les résultats positifs qu’il a obtenus, c’est le témoignage rendu à une idée : celle de l’indépendance d’Israël. La cause pouvait paraître désespérée, au moins pour de longues années, les moyens de lutte, les armes, faisaient cruellement défaut. Se compromettre pour une telle cause, se sacrifier pouvait sembler vain parce que complètement inefficace. En engageant le combat et en le soutenant seul, Samson manifeste sa foi en son Dieu et dans l’avenir de son peuple ; il rend hommage à la justice violée par l’oppression étrangère et à la transcendance du Dieu d’Israël.

Ce refus obstiné d’abandonner la partie a sa noblesse ; il a eu aussi son efficacité secrète. Dans son âme simple, où les réflexes de justice et de fierté jouent avec une jeune énergie, Samson préfère le risque, la solitude, la mort aux abandons et aux lâches acceptations. Son action a pu paraître sans lendemain, elle a préparé la résurrection de son peuple. Un jour les libérateurs se sont levés, Saül et David ; les premiers rois d’Israël et les vainqueurs des Philistins n’auraient pas été possibles, si un proscrit, un isolé, trahi de tous, n’avait d’abord mené la lutte.

Le fruste Samson nous apparaît ainsi, malgré ses faiblesses, comme la lointaine ébauche de celui qui, abandonné de ses disciples, devait par sa mort porter témoignage de sa mission divine, et triompher par son échec.