sur Matthieu 19, 27-29

Les trois journées de marche du moine

Saint Aelred de Riévaulx

Sermons pour l’année, Pain de Cîteaux, 11, série 3, p. 113s

 

Frères, comme le dit Moïse à son peuple, il nous faut aller dans le désert à trois jours de marche, pour pouvoir offrir un sacrifice au Seigneur notre Dieu (Exode 8,22-23). Quels sont ces trois jours de marche ? Le premier jour de marche, c’est de quitter le monde ; le second, c’est de quitter ses vices et ses péchés, d’améliorer sa conduite ; le troisième, c’est de quitter sa volonté propre.

Voyez, frères, beaucoup abandonnent les richesses et les honneurs du monde ; ils s’éloignent de celui-ci à une distance qui est comme celle d’une journée de marche. Mais ils ne veulent pas encore quitter leur conduite mauvaise : ils sont tout aussi orgueilleux qu’avant, tout aussi débauchés qu’avant, tout aussi avares qu’avant. Ils n’ont jamais accomplis la deuxième journée de marche : ils sont donc incapables d’offrir un sacrifice à Dieu. Il en est d’autres qui parcourent les deux premières étapes : ils quittent les richesses et les honneurs, et ils se tiennent à l’écart de leurs anciennes fautes. Mais c’est de leur propre chef qu’ils se retirent dans un lieu où ils mangent quand ils veulent, ils jeûnent quand ils veulent, ils veillent quand ils veulent, ils travaillent quand ils veulent : ils n’ont certainement pas accomplis la troisième journée de marche. Mais même ceux qui sont en communauté et qui paraissent avoir quitté leur volonté propre, s’ils recherchent encore certaines libertés afin de pouvoir sortir du monastère quand ils veulent, parler quand ils veulent, travailler quand ils veulent, faire leur lecture quand ils veulent, s’ils accaparent pour leur volonté propre tout ce qu’ils peuvent et autant qu’ils le peuvent, ils n’ont pas non plus accompli la troisième journée de marche.

Celui-là donc est parfaitement sorti d’Egypte, qui a accompli les trois journées de marche : il a d’abord quitté extérieurement, une fois pour toutes, les richesses du monde, et ils les rejettent loin de lui : sans cesse il présente au Seigneur un esprit libre de toute convoitise et de toute ambition, disant avec le bienheureux Pierre : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. Celui-là rectifie sa vie, il mortifie complètement sa volonté propre et s’en remet au jugement des Anciens pour tout ce qu’il doit faire. Saint Moïse a certes fait connaître aux enfants d’Israël les trois jours de marche physique grâce auxquels ils parviendraient au lieu où ils auraient à offrir au Seigneur un sacrifice matériel. Mais vous, ce sont trois journées spirituelles que le bienheureux Benoît vous fait connaître, et il vous montre assez clairement le chemin sur lequel vous pourrez accomplir ces trois journées de marche. A mon avis, on accomplit la première journée de marche par le chemin de la crainte du Seigneur, la deuxième journée par le chemin de la mortification,  la troisième par le chemin de l’obéissance.