sur 1 Corinthiens 12, 12-31
Le martyre de saint Polycarpe
L’Empire et la Croix, p. 163s

En moins de temps qu’il n’en faut pour la rapporter, la populace se mit à entasser du bois et des fagots pris dans les bains. Quand le bûcher fut prêt, Polycarpe se dépouilla de ses vêtements, ôta sa ceinture, et essaya de se déchausser : d’ordinaire il n’avait pas à le faire, car, à cause de son grand âge, les fidèles qui l’entouraient s’empressaient de l’aider ; c’était à qui arriverait le plus vite pour toucher son corps : en raison de sa grande sainteté, on l’honorait même avant son martyre.
Aussitôt on disposa autour de lui l’appareil pour le fixer au bûcher. Les bourreaux allaient l’y clouer quand il dit : Laissez-moi libre : celui qui m’a donné la force d’affronter le feu me donnera aussi de rester immobile sur le bûcher. On se contenta de l’attacher. Lié au poteau, , les mains derrière le dos, Polycarpe semblait comme un bélier de choix, distingué dans le grand troupeau en vue du sacrifice. Alors levant les yeux, il dit : Seigneur Dieu tout puissant, Père de Jésus-Christ, ton enfant bien-aimé et béni, par qui nous t’avons connu, Dieu des Anges et des Puissances, Dieu de toute la création et de toute la famille des justes qui vivent en ta présence, je Te bénis pour m’avoir jugé digne de ce jour et de cette heure, digne d’être compté au nombre de tes martyrs et de participer au calice de ton Christ, pour ressusciter à la vie éternelle de l’âme et du corps, dans l’incorruptibilité de l’Esprit-Saint. Puissé-je aujourd’hui avec eux être agréé en ta présence comme une oblation précieuse et bienvenue, comme tu m’y as préparé ; tu as gardé ta promesse, Dieu de la fidélité et de la vérité. Pour cette grâce et pour toute chose, je Te loue, je Te bénis, je Te glorifie par l’éternel et céleste Grand-Prêtre, Jésus Christ, ton enfant bien-aimé. Par Lui qui est avec Toi et l’Esprit, gloire te soit rendue maintenant et dans les siècles à venir. Amen !
Quand Polycarpe eut lancé cet Amen, en achevant sa prière, les hommes du bûcher allumèrent le feu, la flamme s’éleva haute et brillante. Le feu s’élevait en forme de voûte ou comme une voile gonflée par le vent ; elle enveloppait le corps du martyr. L’évêque se tenait au milieu, non comme chair qui brûle, mais comme un pain qui se dore en cuisant ou comme l’or et l’argent éprouvés au creuset, tandis que tous pouvaient percevoir un parfum délicieux comme celui de l’encens. Voyant le feu impuissant à détruire le corps, on envoya un bourreau le frapper du glaive. Il en sortit une colombe et un flot de sang tel que le feu s’éteignit aussitôt.