Sur Daniel 6, 5-28
La musique du Verbe dans le silence
Dom Jean-Pierre Longeat
La musique, j’y crois, p. 115s

La musique liturgique est essentiellement une musique du Verbe, de la Parole de Dieu. En son origine, d’ailleurs, la musique est celle de la parole. La parole est portée par la musique pour être reçue, comprise, assimilée, vécue. La musique liturgique n’est pas une décoration, un ornement, quelque chose en plus ; c’est la musique même du Verbe livré aux hommes à travers leurs langages. La traduction musicale du Verbe, qui fut le grand travail des meilleures traditions liturgiques, est une ascèse de méditation, de compréhension, et de transmission du texte biblique et de l’hymnographie qui l’interprète : cela ne va pas de soi, demande du temps et beaucoup de tâtonnements, mais c’est un travail impératif.
La liturgie et la musique ont ceci en commun que le silence qui les suit et qui les précède est déjà et encore de la liturgie et de la musique. La réforme du Concile Vatican II a introduit la pratique du silence méditatif au cœur du rituel. Le silence n’est pas du vide, c’est au contraire un plein mystère qui dit infiniment plus que toutes les expressions sonores. Les liturgies traditionnelles ne sont guère familières de ces temps de silence qui apparaissent contradictoires avec le premier sens du mot liturgie « service du peuple ». La liturgie est une action ; en théorie, elle devrait donc se distinguer de la prière faite dans le secret et le silence proprement contemplatif. A l’expérience, cela ne tient guère. Le silence liturgique est une résonance multiple habitée de tous les sons et de tous les gestes de la prière commune. Le silence de la solitude est sans geste et sans aucune parole, dans la nuit et l’immobilité de l’attente. Mais l’un et l’autre s’appellent constamment.
La musique liturgique est là pour donner corps au vrai silence de communion. Selon la proposition de Joseph Sanson, le célèbre chef de chœur de la cathédrale Sainte Bénigne de Dijon : « Si le chant n’a pas la valeur du silence qu’il interrompt, qu’on me rende le silence. Le chant qui n’a pas pour fonction de promouvoir le silence est vain ». Si l’on veut bien comprendre la musique liturgique, il faut donc réduire l’opposition entre prière intériorisée et prière publique. Le but de la prière liturgique est tout entier compris dans cette proposition qui vise à toucher le cœur dans son plus profond désir de vie et d’amour. Saint Augustin l’exprimait magnifiquement : « Il existe une prière qui est sans interruption, celle du désir. Que fais-tu donc quand tu désires le Sabbat éternel que de prier sans cesse. Si donc tu ne veux pas interrompre la prière, ne cesse pas de désirer. Ton désir interrompu, voilà la voix qui monte sans cesse de toi. Tu te tais quand tu cesses d’aimer. Le refroidissement de l’amour rend le cœur muet. L’amour enflammé, c’est le cri du cœur. »